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Inhibiteurs

INHIBITEURS

Les inhibiteurs constituent une complication grave qui peut survenir lorsque des personnes atteintes d’hémophilie ont une réponse immunitaire au traitement par des concentrés de facteurs de coagulation (CFC).

En général, le système immunitaire protège l’organisme en développant des anticorps contre les substances étrangères potentiellement dangereuses. C’est ainsi que nous sommes protégés des germes, des virus et d’autres sources d’infection. Chez certaines personnes atteintes d’hémophilie, le système immunitaire peut réagir aux protéines des concentrés de facteurs de coagulation comme s’il s’agissait de substances étrangères nocives. Au moment de la publication du présent document (2022), ce phénomène ne s’explique pas clairement. L’organisme génère alors des anticorps contre les concentrés de facteur de coagulation. Ces anticorps, appelés inhibiteurs, empêchent les concentrés de facteur de coagulation de stopper les saignements en empêchant la formation de caillots.

Il est plus difficile de maîtriser les saignements chez les personnes atteintes d’hémophilie ayant des inhibiteurs. Les inhibiteurs du facteur VIII (FVIII) et du facteur IX (FIX) rendent le fardeau de la maladie plus important, notamment par un risque accru de complications musculosquelettiques, de douleurs, de limitations physiques et de difficultés de prise en charge. Tous ces facteurs peuvent avoir une incidence sur les fonctions physiques, la capacité d’effectuer des activités physiques et la qualité de vie des personnes atteintes d’hémophilie.

Mis à jour en mai 2022

Les personnes atteintes d’hémophilie sévère sont plus susceptibles de développer des inhibiteurs que celles atteintes d’une forme modérée ou mineure de la maladie, tout comme les personnes atteintes d’hémophilie A (déficit en facteur VIII) par rapport à celles atteintes d’hémophilie B (déficit en facteur IX).

QUELS SONT LES FACTEURS DE RISQUE POTENTIELS DE DÉVELOPPER DES INHIBITEURS ?

Le risque de développer des inhibiteurs est associé aux expositions initiales aux concentrés de facteur de coagulation. Dans la plupart des cas, les inhibiteurs surviennent dans les 75 premières expositions aux concentrés de facteur de coagulation, mais le plus grand risque correspondant aux 20 premières expositions. Une exposition est définie comme une période de 24 heures au cours de laquelle sont administrés des concentrés de FVIII ou de FIX. Le risque de développer un inhibiteur est associé aux premières expositions aux concentrés de facteur de coagulation, par conséquent, les enfants qui commencent un traitement aux CFC tôt dans leur vie peuvent avoir un inhibiteur à un jeune âge. La survenue d’inhibiteurs peut également avoir lieu plus tard, à l’âge adulte, au moment où les personnes commencent un traitement avec concentrés de facteur de coagulation. Ceci est souvent dû à une errance de diagnostic ou à un diagnostic tardif (c’est généralement le cas dans les pays en développement).

Environ 30 % des personnes atteintes d’hémophilie A développeront des inhibiteurs. Pour celles atteintes d’une forme mineure ou modérée, les inhibiteurs se développent dans 5 à 10 % des cas, le plus souvent à un âge avancé après une exposition intensive aux concentrés de facteur de coagulation (par exemple après une intervention chirurgicale). Dans la plupart des cas, il s’agit d’inhibiteurs faibles répondeurs (voir Table 1 « classement des inhibiteurs »).

Les personnes atteintes d’hémophilie B sont moins nombreuses à développer des inhibiteurs (environ 5 %). Cependant, ces inhibiteurs peuvent entraîner des complications graves telles que des réactions allergiques potentiellement mortelles (anaphylaxie) ou une maladie rénale (syndrome néphrotique).

Il est important que les personnes atteintes d’hémophilie A ou B soient traitées dans un centre de traitement de l’hémophilie (CTH), en particulier pour les 10 à 20 premières expositions aux concentrés du facteur.

D’autres facteurs spécifiques peuvent également augmenter le risque de développer des inhibiteurs chez une personne atteinte d’hémophilie A :

  • Sévérité de l’hémophilie
  • Antécédents d’inhibiteurs dans la famille
  • Variantes génétiques de la mutation, comme des anomalies graves du gène du facteur
  • Origine ethnique
  • Traitement intensif avec des concentrés de facteur de coagulation
  • Type de concentrés de facteur de coagulation (critère encore débattu)
Mis à jour en mai 2022

La présence d’inhibiteurs peut se déterminer par les signes et les symptômes suivants :

  • Un saignement qui n’est pas maîtrisé par l’administration de la dose habituelle de concentrés de facteur de coagulation
  • Le traitement habituel semble de moins en moins efficace

Un diagnostic établi à partir des signes et symptômes associés aux inhibiteurs doit être confirmé par des tests de laboratoire répétés. La présence d’inhibiteurs est parfois mise à jour lors d’un test de laboratoire de routine.

Mis à jour en mai 2022

Il convient de dépister la présence d’inhibiteurs chez les personnes atteintes d’hémophilie dans les cas suivants :

  • Après le début du traitement par concentrés de facteur de coagulation, puis tous les ans
  • Avant toute prophylaxie par concentrés de facteur de coagulation, puis régulièrement par la suite
  • Après toute exposition intensive aux concentrés de facteur de coagulation (c’est à dire dans les 4 semaines suivant une exposition quotidienne de plus de 5 jours)
  • Avant toute intervention chirurgicale ou procédure invasive
  • Si les concentrés de facteur de coagulation n’arrêtent plus les saignements ou ne sont plus aussi efficaces qu’auparavant
Mis à jour en mai 2022

Lorsque les concentrés de facteur de coagulation ne parviennent plus à maîtriser les saignements, on soupçonne souvent la présence d’inhibiteurs mais cette hypothèse doit être confirmée par une analyse sanguine. Les inhibiteurs sont mesurés par le test de Bethesda ou le test de Bethesda modifié par Nijmegen. En présence d’inhibiteurs, le sang met plus de temps à coaguler et ne coagule pas complètement.

CLASSEMENT DES INHIBITEURS

Les inhibiteurs sont mesurés en unités Bethesda (UB), varient d’un individu à l’autre et peuvent également varier au sein d’une même personne au fil du temps. Les inhibiteurs sont dit « faibles répondeurs » ou « forts répondeurs » en fonction de l’intensité de la réaction du système immunitaire de la personne aux concentrés de facteur de coagulation.

Un inhibiteur faible répondeur est un inhibiteur dont le taux inférieur à 5 UB n’augmente pas après un traitement par facteur, tandis qu’un inhibiteur fort répondeur est un inhibiteur dont le taux supérieur à 5 UB augmente après un traitement par facteur.

Les inhibiteurs faible répondeur ont tendance à être transitoires, c’est à dire qu’ils disparaissent d’eux mêmes en l’espace de 6 mois sans traitement. Les inhibiteurs fort répondeur ont tendance à être persistants et sont sujets à une réponse anamnestique. Une réponse anamnestique peut se produire lorsque les personnes atteintes d’hémophilie qui développent des inhibiteurs cessent de recevoir des concentrés de facteur de coagulation, et que leur taux d’inhibiteurs diminue (puisqu’il n’y a plus de concentrés de facteur de coagulation auxquels réagir). Si un nouveau dosage est réalisé (et qu’il ne reçoit toujours pas de concentrés de facteur de coagulation), l’inhibiteur n’est plus détectable ; cependant, la prochaine fois qu’il sera exposé à des concentrés de facteur de coagulation (par exemple, lors d’une intervention chirurgicale), son taux d’inhibiteur remontera en flèche.

TABLEAU 1 Classement des inhibiteurs
INHIBITEUR FAIBLE RÉPONDEUR Le titre de l’inhibiteur ne dépasse jamais 5 UB.

  • La réponse immunitaire est faible et dure peu de temps (transitoire).
  • Les inhibiteurs neutralisent lentement le facteur.
  • L’exposition au facteur provoque lentement l’apparition de nouveaux inhibiteurs.
INHIBITEUR FORT RÉPONDEUR Le titre de l’inhibiteur dépasse au moins une fois 5 UB.

  • La réponse immunitaire est forte et dure longtemps (persistant).
  • Les inhibiteurs neutralisent rapidement le facteur.
  • L’exposition répétée au facteur provoque rapidement l’apparition de nouveaux inhibiteurs.
Mis à jour en mai 2022

Une personne ayant des inhibiteurs doit être suivie dans un CTH à l’expertise spécialisée. Chez ces personnes, les saignements peuvent être pris en charge de plusieurs façons. Pour choisir le traitement adéquat, l’équipe soignante doit tenir compte des éléments suivants :

  • Titre de l’inhibiteur (quantité d’inhibiteurs présents dans le sang)
  • Réponse clinique aux traitements
  • Réactions aux injections précédentes
  • Site, nature et sévérité du saignement
  • Traitements disponibles dans le pays

Pour les personnes atteintes d’hémophilie A avec inhibiteurs souffrant d’un saignement aigu, le traitement varie en fonction du fait qu’il s’agit d’un inhibiteur faible ou fort répondeur (voir tableau 2).

Chez les personnes atteintes d’hémophilie avec inhibiteurs, les traitements sans facteur de remplacement, tels que l’emicizumab, peuvent être administrés dans le cadre d’une prophylaxie. L’emicizumab n’est indiqué que pour la prophylaxie chez les personnes atteintes d’hémophilie A, avec ou sans inhibiteurs. Ce traitement ne convient pas pour les épisodes hémorragiques aigus ou dans le cadre d’une intervention chirurgicale. Les personnes atteintes d’hémophilie avec inhibiteurs souffrant d’un saignement intercurrent alors qu’elles sont traitées par emicizumab doivent recevoir du FVII ou des agents de contournement pour traiter le saignement.

TABLEAU 2 Traitements en cas de saignements aigus chez les personnes atteintes d’hémophilie avec inhibiteurs
Hémophile A Hémophile B
Inhibiteur faible répondeur Traitement des saignements aigus par concentré de facteur de coagulation du FVIII Inhibiteur faible répondeur Traitement des saignements aigus par concentré de facteur de coagulation du FIX avec suivi étroit indispensable
Inhibiteur fort répondeur

Traitement des saignements par agent de contournement (Facteur VIIa recombinant ou concentrés de complexe prothrombique activé) ou par Facteur VIII porcin

En cas de saignement chez les personnes atteintes d’hémophilie A avec inhibiteurs sous prophylaxie d’emicizumab, il convient de privilégier le Facteur VIIa recombinant par rapport aux concentrés de complexe prothrombique activé.

Inhibiteur fort répondeur ou faible répondeur avec réaction allergique ou anaphylactique

Contrôle des saignements par agent de contournement (Facteur VIIa recombinant)

Ne pas utiliser de concentré de complexe prothrombique activé qui contient du FIX activé et peut provoquer une réaction allergique, anaphylactique et un risque de thrombose.

aPCC, activated prothrombin complex concentrate; rFVIIa, recombinant activated factor VII.

Mis à jour en mai 2022

De nos jours, le traitement des inhibiteurs est l’un des plus grands défis dans le traitement de l’hémophilie. Il est possible d’éradiquer les inhibiteurs en utilisant une technique appelée induction de la tolérance immunitaire (ITI). Cependant, ce type de traitement nécessite une expertise médicale spécialisée, est coûteux et prend beaucoup de temps.

Le traitement par induction de la tolérance immune est une option qui peut permettre de se débarrasser des inhibiteurs. L’induction de la tolérance immune consiste à administrer aux personnes avec inhibiteurs des doses régulières de concentrés de facteur de coagulation au fil du temps (de plusieurs mois à plusieurs années). Cette exposition continue aux concentrés de facteur de coagulation épuise les anticorps générés par le système immunitaire, ce qui a pour effet de stopper la production d’inhibiteurs par le système immunitaire (dérégulation). Des doses plus élevées de concentrés de facteur de coagulation peuvent entraîner un épuisement plus rapide du système immunitaire, et des doses plus faibles peuvent prendre plus de temps.

Le traitement par induction de la tolérance immune est efficace chez 70 à 80 % des personnes atteintes d’hémophilie A sévère, mais peut être moins efficace chez les personnes atteintes d’hémophilie A de forme modérée ou mineure. Bien que le traitement par induction de la tolérance immune soit similaire pour les personnes atteintes d’hémophilie B, l’expérience de ce traitement en vie réelle reste limitée et le taux de réussite est plus faible.

Si les personnes atteintes d’hémophilie avec inhibiteurs ne répondent pas à un traitement par induction de la tolérance immune, il existe d’autres traitements, tels que les agents de contournement et les traitements avec facteur de remplacement, qui peuvent être utilisés pour contourner les inhibiteurs et aider à prévenir les saignements.

Il est important d’inclure l’éducation thérapeutique continue des personnes atteintes d’hémophilie et des soignants ainsi que le soutien psychosocial dans la prise en charge des personnes atteintes d’hémophilie avec inhibiteurs. Les cliniciens, les personnes atteintes d’hémophilie avec inhibiteurs, les soignants et l’équipe du CTH doivent maintenir une bonne communication grâce à un protocole de soins bien coordonné. La surveillance et la reconnaissance rapide des inhibiteurs constituent un élément important de la prévention et de la prise en charge des inhibiteurs. Le traitement et la prise en charge des inhibiteurs sont des éléments clés d’un suivi complet de l’hémophilie.

Mis à jour en mai 2022
Source : Lignes directrices pour la prise en charge de l’hémophilie de la FMH, 3e édition (2020). Pour en savoir plus sur les inhibiteurs, veuillez consulter les lignes directrices à l’adresse suivante : https://elearning.wfh.org/resource/treatment-guidelines/